Produira-t-on encore du vin en France en 2050 ?

Auteure : Audélie Le Guillant

Année après année, nous entendons parler de récoltes compromises et d’exploitants éprouvés par les phénomènes climatiques extrêmes. Sécheresses, gelées tardives, grêle, feux, inondations - et leur cortège de maladies. Les aléas climatiques sont devenus le lot commun des vignerons. Face à ces évènements devenus récurrents, certains domaines commencent à faire évoluer leur mode de production à cette réalité environnementale, là ou d’autres ne prennent pour le moment pas le virage de l’adaptation climatique.

Quel est l’avenir de la filière viticole face au changement climatique ?

Pour nous éclairer sur les différentes stratégies qui se dessinent chez les viticulteurs, on fait le point avec la Famille Fabre, exploitants dans le Languedoc et Esther Crauser-Delbourg, ancienne Directrice des projets stratégiques d’AXA Millésime.

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1- Préservation des modes de production : et si on ne changeait rien ?

Le cas des AOC

Gage de qualité et de différenciation sur fond de compétition internationale, le label AOC incarne l’exception culturelle française. Sa force réside dans ses cahiers des charges rigoureux qui permettent de normaliser et de figer les modes de production viticoles locaux.

Le problème ? Ce cadre strict qui fait la force de l’AOC le rend aussi incompatible avec la notion d’expérimentation pourtant nécessaire pour adapter les pratiques face à l’urgence climatique.

Se protéger contre les aléas climatiques : une solution efficace mais coûteuse

Face aux aléas climatiques, les vignerons ne sont heureusement pas totalement démunis. Des solutions de protection existent, et elles sont plutôt efficaces (bougies pour réchauffer l’air, aspersion d’eau contre le gel etc.).

En revanche, comme nous l’explique Esther Crauser-Delbourg, l’impossibilité de prédire la survenue d’épisodes climatiques extrêmes complexifie considérablement leur déploiement à grande échelle ; par ailleurs, certaines sont très onéreuses et sont à la charge du vigneron, ce qui accentue les inégalités entre les domaines en termes de prévention et de protection. Les domaines ayant les ressources nécessaires parviennent ainsi à limiter les dégâts. Les autres perdent tout ou une partie de leur récolte. Pour compenser leur baisse de rendement, certains décident par exemple d’acheter du raisin en vrac à d’autres producteurs, ce qui peut altérer la qualité de la cuvée.

« Les pénuries d’eau vont creuser l’écart entre les grands vignobles et les petits, moins bien couverts par les assurances et à la trésorerie moins importante. » Esther Crauser-Delbourg

Finalement, entre gestions de crise et pertes de récoltes, ne pas s’adapter a toujours un coût.

Le vin n’est déjà plus ce qu’il était

On pourrait penser que conserver les techniques actuelles de viti-viniculture permet de préserver le vin tel que nous le connaissons. Ce n’est pas tout à fait vrai.

Le vin que nous buvons est déjà en train d’évoluer sous l’influence du dérèglement climatique. Et cela prend des formes différentes selon les régions.

En effet, la récurrence des catastrophes climatiques affecte les rendements et les propriétés du vin : il n’est pas rare désormais de boire des vins rouges à 14°C ou plus lorsque les millésimés ont été très chauds. Leur structure change et certains Blancs, trop vulnérables, semblent voués à disparaître de nos tables.

Les vignobles du Bordelais vont-ils alors disparaître au profit de nouveaux domaines septentrionaux ? Non, il y aura toujours du bordeaux à notre table, répondent à l’unisson la famille Fabre et Esther Crauser-Delbourg, mais celui-ci aura un mode de production et des caractéristiques différentes. Par ailleurs, sur ces terroirs du Sud, plus sujets aux aléas climatiques, si aucune adaptation n’est mise en place, seuls les grands domaines subsisteront.

The languedoc climate reality

2- Adaptation des pratiques : et si on transformait les pratiques ?

D’autres, à l’instar de la famille Fabre, font le choix de la transition et essaient d’embarquer les autres domaines dans leur sillage. Une posture qui implique de revoir ses pratiques pour s’adapter et résister, mais aussi d’agir sur la cause du problème en diminuant son impact sur le climat.

S’armer de patience et s’adapter

Par s’adapter, on entend imaginer de nouvelles pratiques permettant de mieux résister aux extrêmes climatiques. À court terme, cela consiste à se protéger grâce aux solutions évoquées plus haut. Mais c’est aussi adapter le calendrier des vendanges pour éviter de subir des gelées tardives, opter pour des extractions plus douces après une canicule pour éviter un vin trop fort en alcool, etc.

On le comprend donc, s’adapter pour produire un bon vin en dépit des aléas météorologiques est aussi technique que complexe. Mais c’est possible ! À long terme, il s’agit cette fois de trouver les moyens de rendre les vignobles plus résilients. Par exemple, en créant des cépages plus résistants par bouturage, en améliorant la rétention d’eau dans les sols avec l’agroforesterie etc. Des pratiques bien connues des anciens, comme en témoigne Clémence Fabre, mais qui avaient été abandonnées au profit du rendement.

Le vin, bientôt réfugié climatique ?

Les vignerons ne manquent donc pas de pistes à explorer pour s’adapter au dérèglement climatique et inventer le vin et les pratiques de demain. Nombre d’expérimentations sont prometteuses, mais ne fonctionnent qu’au cas par cas, en fonction des spécificités du terroir. Malgré les échanges de bonnes pratiques, il reste donc difficile de trouver des solutions à grande échelle

Autant de difficultés qui incitent certains vignerons à « s’expatrier », autrement dit à implanter leurs cépages sous des latitudes plus clémentes. Là encore, il faudra faire preuve de patience pour en savourer les fruits, nous prévient Esther Crauser-Delbourg, puisqu’il faut plus de quatre ans pour recréer une vigne et qu’un sol qui n’a jamais accueilli de vigne peut mettre 20 à 50 ans pour devenir un grand terroir.

Diminuer son impact en atténuant son bilan carbone

L’atténuation quant à elle consiste à réduire son empreinte carbone en changeant ses méthodes de production et de commercialisation.

Concernant la vitiviniculture, ce sont les bouteilles, le carton et le transport qui concentrent la majorité des émissions.

Pour réduire leurs impacts, certains domaines, grands ou petits, rejoignent les rangs du label bio ou du vin naturel et testent des solutions afin d’améliorer leur bilan. Une démarche longue et complexe, mais qui trouve un écho favorable auprès des consommateurs sensibles aux arguments écoresponsables.

Grappe-de-raisin-dans-un-domaine-viticole

Conclusion

Alors, les domaines que nous connaissons aujourd’hui existeront-ils encore demain ? Ceux qui ont les moyens de limiter les dégâts oui. Ceux qui ont déjà commencé à s’adapter aussi. Les plus petits vignerons qui n’ont pas encore entamé leur transition, eux, n’auront pas d’autre choix que d’y venir s’ils veulent résister.

Finalement, en 2050 le consommateur aura toujours le choix. Il faut simplement espérer que les petits domaines et les indépendants qui font notre richesse n’auront pas été balayés par la tempête.

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Illustration Will we still be making wine in 2050?
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